In extenso 2011-1/2 p. 5

PRÉSENTATION

Le Jus Post Bellum : nouveau cheval de Troie pour le droit des conflits armés?

Par Gregory LEWKOWICZ (1)

 

Les contributions réunies dans ce dossier sont issues d’un colloque organisé les 21 et 22 octobre 2010 par le Centre Perelman de Philosophie du Droit dans le cadre du programme de recherche européen ATLAS (Armed Conflict, Peace Keeping, Transitional Justice : Law as Solution) émargeant au 7ème programme-cadre. L’ambition de ce colloque était de faire le point sur la thèse de l’émergence contemporaine d’un jus post bellum intégrant à la fois un droit relatif à la gestion des situations post-conflictuelles et les initiatives qu’on regroupe généralement sous le vocable de la «justice transitionnelle». Il s’agissait dans une certaine mesure de prendre attitude à l’égard des thèses doctrinales ambitieuses développées dans le giron de Carsten Stahn et réunies, en 2008, dans un ouvrage séminal proposant de définir les contours d’un «droit après la guerre» naissant (2).

 

Sans qu’il se soit agi d’une volonté délibérée des organisateurs, les travaux tenus en octobre 2010 ont convergé vers une position relativement cohérente à l’égard de ce qu’il y a lieu d’appeler la doctrine du jus post bellum. Cette position, dont témoignent les études réunies ici, peut être résumée en trois constats. Premièrement, malgré ses prétentions, la doctrine contemporaine du jus post bellum ne saurait trouver de point d’appui véritable dans l’histoire doctrinale du droit international. Il s’agit d’une doctrine d’origine récente dont le développement est profondément corrélé à une certaine actualité internationale. Deuxièmement, cette doctrine ne permet pas de résoudre, en amont, les problèmes doctrinaux qui lui auraient donné naissance. Elle charrie par ailleurs avec elle bien plus de nouvelles difficultés qu’elle ne permet d’en résoudre en alimentant un imbroglio sémantique de nature à déstabiliser profondément le droit des conflits armés tant sur le plan des règles du jus ad bellum que sur celui des règles de jus in bello. Troisièmement, cette doctrine se révèle, en aval, largement trop abstraite pour permettre d’apporter une contribution substantielle aux questions soulevées, en particulier, par les pratiques de la justice transitionnelle ou les opérations spécifiques de reconstruction de la paix. Les contributions qui sont proposées dans ce dossier permettent, chacune avec leur coloration propre, d’appréhender un ou plusieurs de ces trois constats et conduisent à se demander si, derrière ses airs rassurants, le «jus post bellum» ne serait pas en fait le dernier modèle des chevaux de Troie qui tentent, depuis quelques années et sous des noms divers, de passer l’enceinte du droit des conflits armés.

 

La première contribution signée par Gregory Lewkowicz met en exergue l’impossibilité pour la doctrine du jus post bellum de se réclamer à bon droit d’une origine vénérable et ancienne dans ce qu’on appelle, par facilité, la doctrine du droit des gens. Sans doute, celle-ci développe-t-elle bien un propos sur l’après guerre. Toutefois, celui-ci appartient intégralement et est tributaire tantôt d’une compréhension particulière du jus belli comme executio juris, tantôt de ce que les auteurs classiques appellent le ius pacis. On ne trouve nulle part chez les auteurs du droit des gens un droit de la transition du conflit à la paix. Même à supposer que celui-ci existât, il serait intégralement contenu dans le droit diplomatique ainsi que dans celui des traités et non dans une branche spéciale du droit consacré au post bellum.

 

La deuxième contribution, signée par Frederik Naert, concerne l’applicabilité du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme aux situations post-conflictuelles. Développant une approche à la fois académique et pragmatique nourrie de son expérience pratique au sein du service juridique du Conseil de l’Europe, Frederik Naert met en évidence l’impossibilité de définir abstraitement les contours d’un droit de l’après guerre ou d’un droit applicable aux situations post-conflictuelles. Les règles juridiques applicables diffèrent nécessairement selon les circonstances du théâtre des opérations et, par conséquent, s’il faut parler d’un jus post bellum, celui-ci ne saurait être qu’à géométrie variable.

 

La contribution d’Olivier Corten porte quant à elle sur les implications de la doctrine du jus post bellum pour l’intégrité du jus contra bellum. Au terme d’une analyse fouillée, Olivier Corten démontre que, loin de constituer un apport salvateur au droit des conflits armés, la doctrine du jus post bellum entraîne avec elle une limitation du champ d’application du jus contra bellum et du jus in bello ainsi qu’un assouplissement de certaines règles bien établies du droit des conflits armés. La doctrine du jus post bellum aurait ainsi tendance à aligner le droit sur une pratique qui lui est contraire.

 

C’est à une conclusion semblable qu’aboutit Eric De Brabandere dans son étude sur l’administration internationale de territoires comme instrument de reconstruction après guerre. Son étude met en évidence qu’il n’est nulle besoin de développer une doctrine du jus post bellum pour rendre compte de la pratique internationale contemporaine. Le droit international comprend déjà les règles pertinentes pour faire droit aux pratiques reconstructives. Celles-ci sont pour l’essentiel comprises dans le droit de l’occupation et dans les compétences du Conseil de sécurité. La doctrine du jus post bellum ne permettrait nullement d’améliorer les règles et la pratique actuelle.

 

Enfin, Lauren Gould et Cédric Ryngaert nous invite à réfléchir à la question de la justice transitionnelle en proposant une étude très détaillée de la pratique en la matière développée en Ouganda. Plus particulièrement, les auteurs s’interrogent sur la contribution positive du principe de complémentarité établi par le Statut de la Cour Pénale Internationale (CPI) sur la transition du conflit à la paix. De cette étude, il ressort que les questions relatives à la justice transitionnelle sont et doivent être très dépendantes de la perception des acteurs. A ce titre, une définition générale et abstraite du jus post bellum ne saurait apporter quelques améliorations. On en est dès lors réduit au mieux, comme l’indiquait à un autre égard Frederik Naert, à un jus post bellum variable au sein duquel la justice pénale et la justice transitionnelle doivent chaque fois renégocier leurs relations mutuelles.

 

Au terme de ce parcours, le lecteur aura mesuré la distance qui sépare les contributeurs au présent volume des partisans de la doctrine du jus post bellum. Le jus post bellum avait déjà ses Épéios et ses Sinons, il eut été regrettable qu’il n’eut pas ses Laocoons et ses Cassandres. C’est désormais chose faite et, en dépit de ce que l’image homérique du cheval de Troie pourrait laisser présager, rien ne permet aujourd’hui de préjuger de l’avenir doctrinal et pratique de la notion. Gageons néanmoins que ces contributions, que les responsables de la Revue Belge de Droit International ont eu la gentillesse et le souci d’accueillir, alimenteront le débat sur le jus post bellum et sa pertinence.

 

(1) Chargé de cours, Centre Perelman de Philosophie du Droit, Université Libre de Bruxelles.

(2) C. Stahn et J.K. Kleffner, (eds.), Jus Post Bellum : Towards a Law of Transition from Conflict to Peace, The Hague, T.M.C. Acer Press, 2008.

 
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